Le système éducatif guinéen est malade. Son diagnostic fait état de plusieurs maux qui contribuent à la détérioration de sa qualité depuis plusieurs années. Malgré la gravité de la situation, aucune politique réaliste n’a été jusqu’ici entreprise pour changer la donne. Dans cette analyse nous évoquerons les réels problèmes du système éducatif guinéen mais aussi, les politiques minimalistes et populistes souvent enclenchées par des politiques dans ce domaine.
De la gestion administrative scolaire à l’implication des parents en passant par l’enseignant et la méthode de l’enseignement, les problèmes sont innombrables.
1 – L’incompétence et l’amateurisme des administrateurs scolaires :
Pour la plupart, les encadreurs scolaires sont choisis sur la base de leur ancienneté au niveau de leur établissement, de leur appartenance politique et non sur la base de leur expérience ou de leur compétence. Cette situation exacerbée ces dernières années par » les récompenses politiques » a affecté profondément le fonctionnement des écoles. Bon nombre sont les enseignants qui trouvent injuste la nomination de certains membres de direction dont le niveau laisse à désirer. En réalité, nous avons des cadres parfois trop limités en termes de compétence qui sont nommés pour gérer des enseignants qui s’estiment plus compétents donc, on se retrouve dans un dysfonctionnement très profond en matière de projet de carrière des uns et des autres. Ça décourage ! Disent-ils.
2 – Le manque de formation du personnel enseignant :
Dans tous les secteurs de l’administration guinéenne des formations sont régulièrement organisées pour une mise à jour des compétences. Malheureusement, le secteur éducatif fait exception à la règle car, dès qu’on annonce une formation, à cause des primes ces formations sont orientées vers les cadres des directions en lieu et place des enseignants en situation de classe. Vous avez des enseignants qui ont fait plus de quinze ans en situation de classe sans bénéficier de la moindre formation.
3 – La sédentarisation du personnel de l’éducation :
La sédentarisation de l’enseignant affecte la rigueur et la pratique de sa profession même si cela peut paraître pour certains impertinents. En Guinée vous avez des enseignants qui ont fait plus de vingt ans dans la même circonscription. Alors que le mouvement à travers les mutations pouvait permettre à toutes les localités d’avoir la même chance en termes de bon niveau des enseignants.
4 – le manque d’infrastructures scolaires adaptées :
Les infrastructures scolaires en Guinée sont vétustes et insuffisantes. Les classes sont surpeuplées et manque de toutes formes de mobiliers. Des murs lézardés, des toits qui suintent, des portes et fenêtres béantes, manque de clôture ou de points d’eau sont le reflet de nos concessions scolaires entre autres. En réalité, les enseignants guinéens travaillent dans des trous à rats.
5 – La féminisation à outrance de l’enseignement à l’élémentaire :
Loin de toutes formes de discrimination, il faut l’avouer la féminisation à outrance de l’enseignement au primaire à une conséquence négative sur la qualité de la formation et le niveau des élèves. Bon nombre sont ces femmes qui n’ont pratiquement pas le brevet d’études qui sont recrutées par affinité ou par des nébuleuses de la corruption qui gangrènent l’administration. Malgré la situation, aucune mesure pour une mise à niveau réelle n’est sérieusement entreprise pour ces enseignantes en langue vernaculaire.
6 – Insuffisance de la documentation et l’inexistence des bibliothèques scolaires :
Les efforts fournis pour doter l’école guinéenne de documents n’est pas continuel. Quant aux bibliothèques, elles restent un luxe pour les élèves guinéens contrairement à leurs frères de la sous-région. Et c’est compréhensible, une école qui manque de latrines, de points d’eau et autres ne peut avoir une bibliothèque.
7 – Un système d’enseignement archaïque et inadapté :
Unanimement tous les enseignants reconnaissent que les élèves de nos jours n’aiment pas lire. Ils sont qualifiés de partisans du moindre effort. Mais, en analysant en profondeur on peut facilement s’apercevoir d’où provient cette paresse. Elle provient de la méthode d’enseignement qui repose sur le « Cours magistral ». Cette méthode met l’élève dans une position passive, d’observateur, d’assistant à une scène de théâtre. Il est temps de renverser la pyramide pour exiger à l’apprenant d’être acteur de sa propre formation. Pour cela, on doit partir du livre ou de l’expérience (lecture ou analyse) pour aller vers l’explication synthétique du professeur bien entendu, en fonction des interrogations de l’apprenant.
8 – La corruption et les affinités dans la gestion des enseignants :
De la mutation à l’occupation d’un poste en passant par le traitement quotidien, de l’admission aux différentes évaluations des émoluments sont demandés sous forme de pot de vin. Par exemple pour participer à la correction des différents examens, des enseignants méritants sont écartés par discrimination de même, pour la surveillance. De plus, des parents d’élèves et candidats affirment de vive voix avoir payé de l’argent pour l’admission. Toutes ces pratiques contribuent à la situation actuelle de l’éducation dans le pays.
9 – Le mauvais traitement salarial des enseignants :
Comparativement aux enseignants de la sous-région, les enseignants guinéens sont les moins payés. Et cela se traduit par les multiples grèves que connaissent le secteur ces dernières années. De 2010 à 2021 pratiquement les élèves guinéens ont vu leur formation bâclée suite au refus de l’État de faire face aux problèmes des professionnels de la craie. La même situation persiste parce que les dirigeants guinéens n’ont aucune considération à la formation des élèves guinéens du moment où leurs enfants sont à l’étranger ou à l’école française. C’est aussi l’une des raisons de l’inattraction du secteur éducatif qui peine à trouver du personnel qualifié pour certaines circonscriptions de l’intérieur du pays.
10 – L’avènement des écoles privées :
Pressentie au départ comme une solution pour la décongestion des écoles publiques, les écoles privées se sont avérées être aujourd’hui la source de tous les maux du système éducatif guinéen. Fondateurs et élèves se livrent à toutes les combines pour faire des pourcentages qui ne reflètent nullement le niveau des apprenants bref, l’essentiel est de faire des admis pour se faire d’éventuels clients l’année suivante. C’est de l’arnaque contre le système éducatif au nez et à la barbe du ministère en charge de l’éducation.
11 – La pléthore d’élèves dans les salles de classe :
Les salles de classe sont bondées d’élèves, les effectifs varient entre 60 à 100 élèves par endroit à travers le pays. Ainsi, on s’aperçoit aisément qu’il est pratiquement impossible de tenir un cours dans les normes pédagogiques dans un tel environnement. Avec de telles classes, il ne peut y avoir des évaluations sérieuses ni de suivi quant à l’acquisition du contenu des cours car, on ne peut prêter attention à tout ce beau monde.
Tels sont les problèmes les plus saillants de notre système éducatif parmi tant d’autres. Ces problèmes sont renforcés par des politiques minimalistes et hâtives parmi lesquelles nous avons :
1 – Des contrôles de présence et recensement des enseignants :
À chaque fois qu’un nouveau ministre prend fonction au ministère de l’enseignement pré-universitaire et de l’alphabétisation, nous assistons à un acharnement sur les pauvres enseignants en lieu et place de vrais actes de motivation pour les enseignants. En plus, les enseignants sont soumis régulièrement à des recensements qui riment accompagnés d’harcèlement sur fond de menace et de radiation.
2 – Des rencontres et projets infructueux :
Nous avons d’innombrables rencontres avec des partenaires et des centaines de projets annoncés à travers la télévision nationale sans suite. Dans le domaine de l’éducation en Guinée, tous les projets sont tués dans l’œuf par des cadres aguerris dans la corruption.
3 – La politisation des activités scolaires :
La démagogie et l’amateurisme ont amené des cadres à politiser le système éducatif pour plaire soit au chef ou au parti. Cette attitude outrageante pour un cadre et de plus de l’éducation est devenue monnaie courante au détriment de la formation de qualité.
4 – La dotation des écoles en documents :
Une bonne action. Malheureusement, elle n’est continuelle et complète. Les documents livrés dans les écoles sont insuffisants et la dotation peut s’interrompre sur plusieurs années.
5 – La focalisation des nominations et formation dans la capitale :
Dans les différentes inspections et autres structures de l’éducation, jamais un enseignant n’a été nommé à ma connaissance de l’intérieur du pays dans ces instances. On préfère créer des groupuscules d’enseignants qui ne foutent rien pour soutenir leur propagande et les nommer au détriment des enseignants de l’intérieur.
Il faut l’avouer en conclusion que les enseignants guinéens sont courageux mais qu’avec toutes ces difficultés, il serait presque impossible de réussir une formation de qualité dans un environnement qui n’s’y prête pas réellement. L’État guinéen doit faire en sorte que tous les enfants puissent bénéficier d’une formation de qualité en acceptant d’enrichir toutes les familles par l’opportunité offerte à chaque enfant.
Aliou Bah, littérateur