Home Ecole-Pro Baïlo Teliwel DIALLO, ancien ministre : « on n’avancera jamais, … si on écarte...

Baïlo Teliwel DIALLO, ancien ministre : « on n’avancera jamais, … si on écarte systématiquement nos langues nationales du système éducatif »

1675
0
SHARE

Bailo Teliwel DIALLO est ancien ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique. Dans une interview -à bâtons rompus- qu’il a bien voulu accorder à nos confrères de Mediaguinee, ce grand amoureux de la terre a fait le diagnostic sans complaisance de l’Éducation nationale, situé les responsabilités et proposé des pistes de solution. M. DIALLO a également évoqué avec pertinence la question de l’introduction des langues nationales dans les programmes scolaires en Guinée.

Mediaguinee : Beaucoup de voix comme celle de Hadja Aïcha BAH (ancienne ministre de l’éducation) appellent à l’introduction des langues nationales. Qu’est-ce qui n’avait pas marché ?

Baïlo Teliwel DIALLO : Le problème des langues nationales, c’est que d’abord on ne veut pas le poser. Et là encore c’est la question de la définition de la finalité de l’école. On nous donne souvent l’exemple des pays asiatiques qui ont réussi parce qu’ils ont investi dans la formation du capital humain. Alors qu’il y a trente ans, on était à peu près au même niveau, aujourd’hui, on n’est même pas sur la même planète économique parce qu’ils ont investi dans le capital humain, c’est vrai. Mais je pose une question : quel est le pays asiatique, quel est le pays développé au monde qui enseigne dans une langue étrangère à sa nation, lequel ? On occulte cette question. Même dans les 1ères classes du primaire, en Guinée, on ne veut pas enseigner dans les langues nationales. Même au préscolaire, si tu demandes aux parents, aux encadreurs, aux propriétaires des écoles du préscolaire, on motive l’inscription des enfants en disant : ici, on apprend le français, on apprend même l’anglais. Mais on n’apprend pas à l’enfant à s’exprimer oralement et de façon écrite dans sa langue. On n’avancera jamais, ni dans le préscolaire, ni dans le primaire, ni dans le secondaire, ni dans le supérieur, ni dans l’enseignement technique et de la formation professionnelle si on écarte systématiquement nos langues nationales du système éducatif. Je n’ai pas dit de mettre la langue nationale à tous ces niveaux là, mais, la porte d’entrée de l’apprentissage, de l’éducation, la porte d’entrée de l’émancipation de l’élève, de l’éducation de l’enfant, c’est sa langue. C’est son expression orale, son expression écrite. Est-ce que vous avez entendus nos enfants chanter l’hymne national ? Est-ce que vous croyez vraiment qu’ils savent de quoi ils parlent ? J’ai fait une expérience en pédagogie active : un jour, on est allé dans une école à Forécariah. On a demandé à un enfant qui était en 2ème année du primaire de raconter une histoire pour ses camarades ; on l’a laissé s’exprimer totalement, et donc dans sa langue maternelle, car à ce niveau, il s’agit d’abord d’acquérir des aptitudes en expression écrite et orale. il a dit, en soussou : « le dimanche passé, j’ai accompagné mon père au champ de riz ». Et il y a un autre élève qui lui demande, en soussou également : « comment on cultive le riz ? » Et l’enfant a expliqué tout le processus, depuis comment on prépare le champ, le semis, le repiquage, comment on suit le riz en train de pousser, comment on maitrise le plan d’eau, comment on attend que ça mûrisse, comment on attend que les épis sèchent, comment on récolte, comment on fait le battage, comment on fait l’étuvage. J’étais avec un expert français en pédagogie active, il dit : « tu sais Téliwel, vous, à l’école primaire, vous avez déjà des jeunes qui sont des techniciens agricoles. Chez nous, à l’école primaire, si tu demandes à un enfant d’où vient le riz ? Il va dire du supermarché ». On ne mesure pas ce que nos enfants connaissent, à partir de leur expérience dans leur milieu, et on les bloque leur expression en les obligeant, dès la 1ère année, en 2ème année voire en 3ème année, à s’exprimer en français. Si tu ne parles pas français, tu as zéro, donc tu ne passes pas en classe supérieure. Et par conséquent, on n’utilise pas des pédagogies permettant de passer de l’expérience qu’il a dans sa langue maternelle à une meilleure expression en français, ou dans n’importe quelle autre langue. De cette façon, on bloque la société, on bloque les enfants et on s’étonne d’avoir des résultats qui ne sont pas bons. Les gens disent que c’est à cause de l’introduction des langues nationales dans l’enseignement durant la 1ere République qu’il y a eu des retards ; mais, ça fait plus de trente ans qu’on a abandonné les langues nationales à l’école ! Demande à ceux qui sont passés par coco lala (langue nationale), à quel niveau ils sont ? La maitrise des connaissances, l’expertise technique, ils l’ont. Aucun d’eux ne dira que j’ai fait coco lala mais pourtant je suis un très bon cadre. Pourquoi ils ne le disent pas afin que leur témoignage contribue à l’évaluation, par les pédagogues, les techniciens, les scientifiques, les sociologues ? Les guinéens aiment politiser les problèmes auxquels ils sont confrontés.