Dans une étude dirigée par la Commission Nationale de Réflexion sur l’Éducation (CNRE), coordonnée par Pr Alpha Amadou Bano BARRY et dont les résultats ont été oubliés en 2017, la commission a présenté les failles du système et fait des recommandations pour refonder le système Éducatif.
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COMMUNICATION
SUR LES CONCLUSIONS DES TRAVAUX DE LA CNRE
Mesdames et Messieurs,
Le Président de la République a mis en place par décret n°327 du 14 novembre 2016 la commission nationale de réflexion sur l’éducation (CNRE) afin qu’elle établisse un diagnostic du système éducatif dans sa globalité en vue d’émettre des propositions qui feront l’objet d’une réforme à entreprendre à travers des mesures immédiates, c’est-à-dire dès la rentrée prochaine, à court, moyen et long termes.
La Commission que vous avez devant vous a été composée de telle sorte qu’elle comprend les représentants des principaux acteurs directs du système éducatif : les quatre ministères, dont 2 anciens ministres, la Primature, la fédération des parents d’élèves, les syndicats, les organisations de la société civile et des techniciens du système éducatif.
Après plus de huit mois de travaux en sous-commissions et en plénières, de lectures et de synthèses de centaine de documents, d’entretiens avec des décideurs à plusieurs niveaux du système éducatif et de l’Etat, la commission a procédé à une remise officielle des premières conclusions au Président de la République.
Sur ses instructions, la CNRE amorce maintenant la seconde phase du processus qui consiste à partager, le plus largement possible, les réflexions et les propositions avec tous les autres acteurs nationaux et étrangers concernés par le système éducatif guinéen.
C’est l’objet de cette conférence de presse. L’objectif est de faire connaitre le travail de la commission par le maximum d’acteurs en vue de sa vulgarisation, de son amélioration et de sa mise en cohérence avec les réflexions et les réformes engagées par les départements ministériels en charge de l’Education.
Mesdames et Messieurs,
La présentation du document se fera en trois parties :
1) Les objectifs de la réforme ;
2) Le diagnostic du système éducatif ;
3) Les réformes proposées.
Mesdames et Messieurs,
Lorsque les populations laborieuses de Guinée se lèvent tôt pour préparer leurs enfants et les conduire à l’école et se couchent tard pour surveiller leurs devoirs, elles espèrent qu’à l’école leurs enfants apprendront à lire, à écrire, à compter et à parler en français.
Lorsque les populations se serrent la ceinture et utilisent leurs maigres ressources pour acheter des fournitures, payer des répétiteurs et considèrent tous les sacrifices acceptables pour leurs enfants, c’est dans l’espoir d’une formation de qualité qui débouche sur l’accès à un emploi décent, conforme aux ambitions familiales et aux investissements consentis.
C’est pour combler les attentes des pères et mères de Guinée, pour rendre l’école aux familles et aux communautés que nous impulsons cette réforme. C’est pour les millions de jeunes Guinéens qui aspirent à une formation de qualité, gage d’une insertion socioprofessionnelle réussie que nous engageons cette démarche.
C’est pour aider les entreprises qui s’installent dans notre pays à réduire les coûts de production et les coûts sociaux d’une jeunesse sans emploi, car mal préparée à l’emploi, que nous œuvrons pour une réflexion approfondie du système éducatif guinéen.
C’est pour aider la Guinée et les Guinéens à avoir des femmes et des hommes formés, aptes à produire de la richesse nationale en dominant et en domptant la nature que ces propositions sont pensées et soumises à tous, Guinéennes et Guinéens.
Mesdames et Messieurs,
Une réforme exige un diagnostic exhaustif et sans complaisance. Nous l’avons fait et nous vous le présentons.
I. DIAGNOSTIC
Toutes les études réalisées sur le système éducatif guinéen, aussi bien par les experts des ministères et du gouvernement que par leurs partenaires nationaux et étrangers arrivent à la même conclusion : depuis près de deux décennies, le système éducatif guinéen se caractérise par un retard considérable aussi bien du point de vue de sa performance globale qu’en termes de qualité, d’équité, d’efficience, d’efficacité et de gouvernance.
Cette situation d’ensemble est marquée par :
⦁ un manque de cohérence entre les différents paliers du système éducatif. Cette situation a pour résultat le cloisonnement entre les différents ordres d’enseignement, une faible coopération et une faible gestion commune des questions transversales, comme par exemple la gestion du flux des élèves, l’harmonisation des filières aux différents niveaux du système, la définition des passerelles, l’organisation des examens et les diplômes qui en résultent, etc.
⦁ une quasi-absence de l’Etat au niveau de l’offre éducative du préscolaire : uniquement deux écoles publiques à Conakry et quelques centres d’encadrement communautaires (CEC) à l’intérieur du pays, pour plus de 1 500 écoles maternelles privées alors que les études actuelles indiquent très clairement le lien entre la réussite scolaire des enfants et le fait de fréquenter une école maternelle ;
⦁ cette insuffisance notoire de préparation des enfants du préscolaire à l’enseignement élémentaire a pour effet, notamment, la faible maîtrise des fondamentaux (lire, écrire, compter) en français, avec toutes les répercussions négatives aux stades ultérieurs de l’apprentissage et de l’enseignement. Tout cela explique, en grande partie, le nombre encore trop élevé d’échecs et d’abandons et renforce les inégalités liées à l’origine sociale et à la zone de scolarisation ;
⦁ la non application ou l’application insuffisante des dispositions de nos textes juridico-administratifs et parfois le manque de pertinence ou leur caractère obsolète qui provoquent un dysfonctionnement et une prédisposition à naviguer à vue dans le mode de gestion scolaire et universitaire ;
⦁ l’éparpillement des ressources humaines qualifiées (enseignants et chercheurs de rang magistral) et matérielles (infrastructures, équipements, laboratoire, etc.) entre une multitude d’établissements d’enseignement et de recherche qui réduit leur compétitivité sur le marché international du savoir ; des établissements qui produisent surtout des chômeurs avec 61% des diplômés de l’enseignement supérieur et 39% de ceux de l’enseignement technique et professionnel (AGUIPE, 2012) qui ne trouvent pas un emploi ;
⦁ un dispositif inadéquat, lourd et peu efficient de formation, de recrutement et de promotion des ressources humaines tant dans l’enseignement qu’au niveau des postes administratifs, techniques et de soutien pédagogique des structures de formation. Cette situation handicape la productivité du système éducatif ;
⦁ l’absence d’intégration ou la faible utilisation des technologies de l’information et de la communication dans le dispositif pédagogique et de management des écoles et des universités empêche le système et les élèves et étudiants de profiter des énormes opportunités d’enseignement offertes à l’échelle planétaire. Cette situation découle de la faible maîtrise par les enseignants et par les cadres de gestion de ces outils et de l’absence d’équipements des structures d’enseignement en TIC ;
⦁ une offre insuffisante de formation et une faible attractivité de celles qui existent dans l’enseignement technique et professionnel, alors que les besoins du pays sont importants avec des entreprises et des services qui peinent à trouver une main d’œuvre nationale en quantité et en qualité ;
⦁ l’insuffisance des moyens financiers déployés par le pays pour ses élèves. Les données comparatives montrent que les ressources allouées par l’Etat au système éducatif guinéen sont deux fois plus faibles que celles qui sont mobilisées par les pays de taille comparable comme le Ghana, le Mali ou le Sénégal. En dépit de la faiblesse des ressources, la dépense publique allouée s’avère également inefficace, inefficiente et orientée vers des activités ou des secteurs souvent non prioritaires. A titre d’exemple, l’Etat finance lourdement les transferts sociaux des étudiants et très peu la formation du troisième cycle pourtant indispensable pour asseoir la qualité des enseignements/apprentissages. Alors que le pays manque d’enseignants en nombre et en qualité, les ressources de l’Etat ne sont pas utilisées judicieusement pour attirer des vocations dans les métiers de l’enseignement.
II. REFORMES PROPOSEES
Ces constats ont permis de formuler des recommandations d’ordre institutionnel, de gouvernance, d’accès, de qualité et de financement. Certaines de ces propositions de réformes recoupent des initiatives prises et parfois en cours de mise en œuvre par les ministères en charge du secteur de l’éducation ou leurs partenaires. D’autres sont nouvelles. Mais toutes ont pour finalité la mise en place progressive d’un système éducatif mieux intégré dans son environnement professionnel, économique et social dans un monde devenu planétaire et encore plus concurrentiel.
La commission propose de :
1) revisiter, actualiser et harmoniser les textes régissant le système éducatif en les mettant en cohérence avec les lois, codes et décrets de la gouvernance institutionnelle et socioéconomique. Cela concerne notamment :
⦁ le renforcement de la législation de l’enseignement privé dans les différents secteurs en réservant à l’Etat le monopole de la formation pour les secteurs de la santé et de l’éducation ;
⦁ le rattachement du préscolaire au MEPUA ;
⦁ la création d’une direction nationale de l’alphabétisation au sein du MEPUA ;
⦁ la création d’un office du baccalauréat ;
⦁ la révision du mode de gestion et d’attribution des bourses d’études et d’entretien ;
⦁ l’application du principe de gratuité du système éducatif pour les enfants de 3 à 16 ans.
2) mettre en place cinq pôles d’excellence dans les domaines suivants : mines, énergie, agriculture, environnement, NTIC :
⦁ accélérer renforcer les fusions et regroupements d’établissements, en ciblant la taille, la multidisciplinarité, le lien recherche/formation dans le cadre de l’émergence de ces cinq pôles ;
⦁ la redéfinition des passerelles, la diversification et la mise en cohérence des filières de formation au secondaire, au niveau de l’enseignement technique et de la formation professionnelle et au supérieur afin de mieux répondre aux besoins des professionnels ;
⦁ la professionnalisation des enseignements/apprentissages et la valorisation des diplômes avec la mise en place du cadre national de qualification et de certification avec des référentiels de métiers et de compétences dans l’enseignement ;
⦁ l’établissement d’un partenariat efficace avec le secteur privé dans la définition des plans de formation en adéquation avec les besoins du marché de l’emploi et dans le financement du système éducatif.
3) prioriser la question enseignante par :
⦁ l’amélioration des conditions de vie et de travail des enseignants ;
⦁ le renforcement des capacités des institutions de formation des formateurs ;
⦁ la réactualisation du mode de recrutement à la fonction publique, de promotion, de formation continue et de déploiement pour le corps du secteur éducatif.
4) financer autrement le système éducatif par :
⦁ La hausse de la part du PIB allouée à l’éducation et le rééquilibrage des allocations budgétaires par ordre d’enseignement et entre le secteur public et le privé ;
⦁ L’inscription de l’éducation nationale et de l’amélioration de la qualification des ressources humaines au rang de première priorité nationale ;
⦁ La responsabilisation et l’imputabilité des acteurs dans la gestion des fonds alloués ;
⦁ la traçabilité des ressources en termes de recettes et de dépenses à travers l’implication de tous les acteurs de l’école ;
⦁ La recherche de sources innovantes de financement par voie de plaidoyer (sociétés de téléphonie mobile, sociétés minières, sociétés de jeux et de loisirs, etc.) ;
⦁ l’institutionnalisation et la systématisation de la pratique des activités génératrices de revenus dans le développement des établissements de formation.
5) planifier et mettre en œuvre des stratégies de développement du secteur de l’éducation sur la base de statistiques fiables et exhaustives pour ressortir les besoins réels du système éducatif en déterminant de façon régulière :
⦁ les taux de réussite en classe supérieure et en classe d’examen ;
⦁ le taux brut de scolarisation ;
⦁ le taux d’achèvement du cycle primaire et de l’éducation de base ;
⦁ le ratio élèves/maître, élèves/classe, élève/manuels, etc.
⦁ Le taux d’alphabétisation des populations.
Mesdames et Messieurs,
Certaines des mesures proposées sont à réaliser immédiatement, d’autres à court et moyen termes, d’autres enfin à long terme. Vous trouverez dans le document distribué les détails de ces mesures et leur périodisation.
Ces réformes sont destinées à aider la Guinée à construire une nation émergente. Elles sont proposées pour favoriser la réduction du chômage des Guinéens et créer la richesse nationale.
La commission est consciente des défis et des implications des recommandations formulées car elles sont profondes, douloureuses pour les intérêts établis et les privilèges acquis. Elles imposent des sacrifices, mais elles sont justes, indispensables et bénéfiques pour construire une Guinée nouvelle, moderne et prospère.
C’est pourquoi la CNRE en appelle à tous et à chacun pour le partage, les enrichissements et, ultérieurement, le suivi-évaluation participatif de la réforme à venir, celle de toutes les Guinéennes et de tous les Guinéens.
Merci pour votre attention !