Partant d’un constat qui révèle un faible niveau des Élèves et Étudiants guinéens. Pour comprendre les véritables problèmes dont souffre ce Secteur, nos confreres de maguineeinfos.com a rencontré l’ancien ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique.
Avec Bailo Teliwel DIALLO, nous avons mis à nu des pistes de Solutions pour rehausser le niveau de l’Élève guinéen. L’acteur de développement rural a mis l’accent sur la politisation du sujet par les différents régimes que le pays a connus.
Voici l’intégralité de l’entretien:
Doyen Bailo Teliwel DIALLO vous avez été ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique de 2012 à 2013. Dites nous, quel regard portez vous aujourd’hui sur le système Educatif guinéen?
C’est une question très vague et complexe. Parce qu’il y a tellement de facteurs, d’ordre historique, politique, institutionnel, économique, social et culturel et même des relations internationales qui interviennent.Mais mon regard si vous voulez que je synthétise, c’est que d’abord tout le monde reconnaît le caractère décisif de l’Éducation comme facteur levier, outil de développement d’un pays. Ensuite, historiquement tout un ensemble de contraintes qui sont apparues, développées et des difficultés auxquelles on a pas su donner des réponses appropriées à donner durablement. Ce qui fait que les défis restent encore extrêmement nombreux. Il y a insatisfaction exprimée quasiment par tout le monde. C’est à dire par les élèves, par les parents d’élèves, par la société civile, par l’administration, par le gouvernement et par nos partenaires.
Il y a insatisfaction par rapport aux performances au système éducatif. Surtout par rapport aux attentes que les uns et les autres manifestent.
Il y a insatisfaction chez l’opinion en général. Partagez-vous cette analyse?
Personnellement, j’ai un regard un peu distancé par rapport à cela. Pour moi, il ne faut pas se complaire dans des jugements trop faciles, trop actifs, qui consistent à dire que l’Éducation est à terre, elle n’est pas performante, etc. Il faut bien voir, faire un bon diagnostic des raisons profondes de ces contres performances. Mais rester aussi attentifs à ce qui a été fait de positif, à ce qui est bonnes pratiques, aussi bien dans le passé que dans le présent pour la construction de l’avenir. Si on reste dans le discours négatif, ce qui va nous arriver et ce qui nous est déjà arrivé à plusieurs reprises, c’est d’occulter les bonnes pratiques et nous mettre en position où on est pas capables de les capitaliser pour construire quelque chose de plus performant. Si on est que dans le regard positif, on risque de sous estimer les faiblesses et les contres performances et de dire maintenant tout va bien. C’est cet équilibre qui est difficile à maintenir.
Vous avez soulevé un angle politique pour justifier le faible niveau de l’éducation. Qu’est ce que cela sous entend ?
Il est difficile de se relever d’un point de vue politique, parce que chaque régime pour ne pas dire chaque gouvernement a tendance à dire que nous on avait bien travaillé, on avait fait un bon travail et on fera bien, c’est les autres là qui font mal.Alors si on politise le débat sur cet angle là, on ne pourra pas avancer. Nos dirigeants ont tellement politisé cette question de l’éducation, ce qui nous a mené là où nous sommes aujourd’hui. Pratiquement tous les régimes ont politisé la question de l’éducation. Chaque régime rejette la responsabilité sur le précédent. Cela est une source majeure du faible niveau.
Il y a de cela une décennie, donc depuis 2010 tout semble être contre le système éducatif. On assiste à une multitude de crises dans le secteur éducatif. Selon vous de quoi souffre ce système?
Une crise dans le système éducatif est souvent le reflet de la conséquence des crises sociales et politiques. Dès qu’au plan social et au plan politique des acteurs de toutes les composantes ne sont pas satisfaites, la tendance est que on injecte dans l’analyse du système éducatif en réalité des problèmes qui sont en dehors du système. Ce qui empêche souvent de faire une évaluation correcte des performances du système. Mais moi je vous dis que ce n’est pas seulement depuis 2010 qu’il y a des crises. Moi j’appartiens à l’Ecole de la première république. Je sais que les crises se succèdent depuis très longtemps. Dans les années 70, des experts étaient sollicités par le gouvernement de Sekou TOURE pour venir faire un diagnostic en Guinée afin de connaître de quels problèmes souffre notre éducation. Partant de ce constat, on peut dire que ce n’est pas que la dernière décennie que la Guinée a connu des crises Éducatives.
Qu’en pensez-vous du programme enseigné actuellement dans les Écoles ? Est-il ancien?
J’ai pas fait de recherches sur le programme actuel. Mais parfois je regarde ce qu’il y a en matières d’expressions françaises, d’expressions orales et écrites, de connaissances de l’environnement. Même quand le contenu à la limite est adapté au cohérent, la façon dont ce contenu est enseigné aux élèves, me semble tout à fait inefficace. Je prends par exemple l’expression écrite et orale. Quand tu entres dans une salle de classe, est que tu entends les élèves réciter, chanter, se lever, parler ensembles, c’est que y a un problème. Il suffit de les écouter chanter l’hymne national. On se rendra compte qu’ils connaissent le ton mais ils ne connaissent pas les mots qu’ils utilisent.Je vous raconte une expérience que j’ai testée dans un cours de géographie de la Guinée : [il y a des enfants qui étudient à côté de chez moi ici. Un jour, j’ai pris le cahier d’un enfant et j’ai vu la partie sur les reliefs. Je suis tombé sur le mont Kakoulima. J’ai demandé à l’enfant s’il a une fois vu le mont Kakoulima. Il m’a dit NON, qu’il a juste entendu parler. Étonné, je l’ai pris la main et fait monter à un étage ici, je lui ai montré le mont Kakoulima].
Voyez vous ce qu’on appelle Enseignement chez nous? Le Baccalauréat unique session 2020 vient de prendre fin. Quelle appréciation faites vous sur l’organisation et le déroulement des examens dans notre pays?
Je ne sais pas comment se fait l’organisation et le déroulement des examens actuellement. On ne doit pas attendre les résultats des examens pour évaluer le niveau de l’élève. D’abord pourquoi on évalue l’Elève par les examens? En réalité on doit se rendre compte que l’enfant n’a pas de niveau avant d’arriver au niveau de l’examen. Les examens c’est le point final de tout un processus et non un moyen d’évaluation des Élèves. On ne doit donc pas attendre le résultat de l’Examen pour se rendre compte qu’on a un problème.Mais je le dis ici que le problème n’est pas d’organiser des Examens. Mais c’est d’avoir une performance avant les Examens. Le taux d’admission est trop faible. Cette année on parle de 55% d’admis à l’Examen d’entrée en 7ème année. Alors ma question est de savoir qu’allons nous faire pour les 45% qui restent.
Qu’est ce qui est prévu pour eux? On va continuer à les faire redoubler la classe ? Vous voulez qu’ils passent en classe supérieure même s’ils n’ont pas la moyenne?
Je pense qu’on peut regarder les matières dans lesquelles ils n’ont pas eu la moyenne, on leur organise des séances de rattrapage pendant les vacances. Et on les évalue à la rentrée. Mais faire doubler tous ces gens chaque année fait perdre en temps et en argent. Mais même si on a 100% d’admission, le problème c’est, est ce que ça reflète la réalité? Le niveau des apprenants? C’est ce qu’il faut chercher à savoir avant d’organiser les examens.
Vous avez été ministre de l’Enseignement Supérieur et la Recherche Scientifique.
Alors est ce qu’il y a eu de changement ces derniers temps et qu’est ce qui reste à faire ?
Il reste énormément à faire. Moi je suis venu j’ai trouvé une administration. Souvent on voit le ministre on oublie la continuité administrative. J’ai trouvé des cadres administratifs qui y étaient. On a fait les analyses ensembles. On a fait un diagnostic qui définit des axes de 5ans au moins. Ce document a été élaboré. On a défini des priorités. Et le processus a été engagé avec des aller et retour, des tâtonnements, des discussions, des résistances au changement et des gens qui veulent changer. J’ai donc laissé l’Enseignement Supérieur dans cette dynamique. Et le ministre Yero que j’apprécie beaucoup est venu avec des axes qui étaient donc en place.
Et il a fait avancer en matière de gestion, en matière de redistribution de ressources, en matière d’efficacité du système et pour certains éléments aussi liés à la spécialisation et à l’amélioration des institutions. Vous savez il y a ce que le ministre dit et fait en tant que décideur. Et il y a ce que le système dit et fait en tant que système. Le ministre n’est jamais le système. Le système c’est l’environnement qui le fait. Quand moi je suis arrivé, la recherche était un élément méconnu de l’Enseignement Supérieur. Mais par tempérament, par vocation et par vision, pour moi, l’un des leviers les plus forts, c’est la recherche. J’ai donc essayé de renforcer la gestion de recherches. Mais en Guinée les gens ne valorisent pas la recherche. Mais je le dis ici que la Guinée est l’un des pays les plus performants en matière de recherche. Je le dis et je l’affirme. Mais si on part d’un constat négatif, on va oublier ce qu’on a. La recherche est la locomotive de redressement d’un système d’Enseignement.
A vous écouter, on sent que vous maîtrisez ce domaine. Alors quelles pistes de solutions proposez vous pour rehausser le niveau des Élèves et Etudiants guinéens. Il faut faire des analyses objectives des vrais problèmes. Il ne faut pas jeter à l’eau les acquis des anciens régimes. Il faut plutôt chercher à améliorer ce que les anciens ont fait. L’Éducation c’est le long terme. Il faut investir et analyser pour un long terme. Il suffit à chacun de nous d’aller à l’École voir comment se fait l’Enseignement, quel est l’environnement des écoles, quels sont les outils qui sont à la disposition des acteurs de l’École, comment se fait l’encadrement et l’administration de l’École, on verra directement les solutions. Il faut aussi valoriser nos langues nationales.
Des bureaux et privilèges de ministre, vous faites face à la nature aujourd’hui, c’est à dire vous êtes fermier. Vous vous intéressez beaucoup au développement rural. Qu’est ce qui explique ce choix? Encouragez vous les jeunes à aller vers ce secteur?
Ce choix est personnel et il est une passion pour moi depuis très longtemps. Personnellement je pense que l’évolution d’un pays passe forcément par le développement à la base. Le développement rural est un levier de l’évolution d’un pays. Il ne faut pas faire croire que pour développer un pays il faut travailler dans des bureaux ou occuper de hautes fonctions dans l’administration.Le développement communautaire est fondamental. Il faut que les gens jeunes y pensent. Il faut valoriser ce secteur.
Doyen Bailo Teliwel DIALLO la rédaction de Maguineeinfos.com vous dit merci pour tous ces éclaircissements.
C’est un devoir. Merci à vous
Interview réalisée par Siradio Kaalan Diallo et Bah Mohamed de maguineeinfos.com