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Guinée: Des révélations ahurissantes sur les 758 Enseignants-Chercheurs recrutés en 2019

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En Guinée, le Gouvernement de transition a entamé le processus de refondation de l’Etat à travers l’assainissement du fichier de la fonction publique. Dans ce cadre, le ministère de la fonction publique, dans un arrêté a mis à la retraite 6 300 fonctionnaires. L’acte est diversement apprécié.

Toutefois, certains fonctionnaires récemment engagés à la fonction publique risquent de se retrouver face à une situation « d’injustice ». C’est le cas de la promotion de 758 Enseignants Chercheurs recrutés en 2019 au compte du ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique. Africaguinee.com a interrogé un d’entre eux qui a fait des révélations ahurissantes.

Dr Mamadou Saidou Saalah BAH, est Enseignant-Chercheur à l’Université Gamal Abdel NASSER de Conakry, département d’odontologie à la faculté des Sciences et techniques de la santé. Il est aussi vice-président du collectif des enseignants-chercheurs de Guinée engagés en 2019. Dans cet entretien, il souligne que certains de leurs camarades risquent d’être envoyés à la retraite alors qu’ils n’ont pas fait plus de trois années de service.

AFRICAGUINEE.COM : Certains de vos camarades engagés à la fonction publique en 2019 risquent d’être amenés à la retraite. Comment se sont-ils retrouvés dans une telle situation ?

Dr Mamadou Saidou SAALA BAH : Nous avons été interpellés par un état de fait suite à cette opération de mise à la retraite de 6 300 fonctionnaires. Nous nous sommes rendus compte que dans cette liste, il y avait des personnes engagées en 2019, pour lesquelles les dates de naissances allaient de 1930 à 1935. Il se trouve que lorsque nous, nous avions été engagés en 2019, nous l’avions été avec ces mêmes dates de naissance. Pour certains d’entre nous, des corrections ont été apportées, par contre, il y en a parmi nous des gens qui n’ont pas vu leur date et lieu de naissance corrigés jusqu’à date. Nous avions à l’époque mené des démarches au ministère de la fonction publique par l’intermédiaire de nos directeurs des ressources humaines, notamment les DRH des universités et institutions d’enseignement supérieur et surtout le directeur des ressources humaines du ministère de l’enseignement supérieur en la personne de M. Bappathé Barry, qui nous avait assisté et qui n’avait ménagé aucun effort afin de voir cette situation régularisée.

C’est ainsi que nous avions pris notre bâton de pèlerin pour aller à la fonction publique. Nous avions déposé des dossiers et  à chaque fois qu’il était question des fournir des pièces justificatives nous l’avions fait. Mais nous nous sommes rendus compte que jusqu’à présent, il y a parmi nous, des collègues pour lesquels les dates ne sont toujours pas corrigées. Ceux qui avaient pu le faire, ont utilisé leurs relations personnelles à la fonction publique, d’autres sont allés jusqu’à payer  de l’argent au sein du service informatique pour que leur situation soit régularisée.

Ces collègues qui sont encore dans cette situation ont la peur au ventre d’être envoyés à la retraite de façon abusive ou de manière injuste. C’est tout à fait normal que des gens fassent valoir leur droit à la retraite, c’est un droit fondamental dans la vie de tout travailleur,  mais ce qu’il faudrait  éviter, c’est de faire  d’une situation de justice une autre situation d’injustice en envoyant à la retraite des jeunes qui viennent à peine de commencer leur carrière à la fonction publique alors que pour la majorité, ce sont  des jeunes dont la moyenne d’âge se situe entre 30 et 40 ans.

Et donc, si on les envoie à la retraite, il leur sera très difficile de rectifier cette situation à cause de la difficulté de la procédure pour revenir encore à la fonction publique. C’est pourquoi nous voulons que cette situation soit régularisée le plus vite que possible.

Combien sont concernés par ces « fausses dates » de naissances qui leur ont été attribuées ?

C’est très difficile de se prononcer sur les chiffres avec exactitude mais, ce que je peux dire, c’est  qu’il y a eu une dizaine de personnes qui m’ont appelé pour se plaindre. Sur  le dernier rapport qu’on a réalisé pour envoyer les dossiers, il y avait une cinquantaine de personnes qui étaient dans cette situation. Et ce,  dans toutes les universités, de Nzérékoré, Kankan, Labé, pratiquement dans chaque université ou institut supérieur du pays, vous avez des personnes qui se retrouvent dans cette situation. C’est pourquoi nous demandons aux nouvelles autorités de permettre à ces collègues de voir leur situation régularisée. Sinon il serait injuste de les envoyer à la retraite et priver même le pays de ses cadres jeunes compétents, des enseignants chercheurs. Parce qu’il ne faudrait  pas oublier que ce sont ces cadres supérieurs qui participent à la formation de l’élite de ce pays.

Disposez-vous de preuves que ces gens ont été de façon régulière engagés à la fonction publique ?

Bien sûr qu’il existe des preuves parce qu’on a été engagé avec les mêmes arrêtés. Il y a eu deux arrêtés qui ont été pris et signés en 2019 par le ministre de l’époque, M.r Abdoulaye Yéro Baldé. Je pense que c’est le seul recrutement officiel qui a été fait au compte de l’enseignement supérieur depuis 2019. Le premier arrêté d’engagement concernait 451 personnes qui a été pris au mois d’avril 2019 et un autre arrêté de 307 personnes au mois d’aout. Ce qui fait total de 758 personnes engagées aux mois d’avril et aout 2019 au compte de l’enseignement supérieur. Tous ces 758 se retrouvent dans les différents arrêtés d’engagement qui ont été signés à l’époque pour confirmer leur engagement à la fonction publique. Toutes les preuves sont là. Les personnes qui se retrouvent dans cette situation ont toutes les preuves, à savoir : les bulletins de salaires, l’attestation de prise de fonction auprès des différents DRH, des institutions ou des universités.

Certains disposent même ce qu’on appelle le reclassement académique. Parce qu’à l’enseignement supérieur, dans le cadre des recrutements,  au préalable c’est le département tutelle qui manifeste le besoin de recruter un enseignant chercheur, et c’est à la  suite de ce besoin qu’un appel à candidature est lancé. Les postulants déposent ainsi leurs dossiers. Et après, il  y a toujours une commission universitaire qui siège pour examiner les dossiers et valider les candidatures. Les candidatures retenues sont ensuite acheminées au ministère de l’enseignement supérieur, qui, par la suite prend un premier arrêté qui permet de reclasser académiquement ces personnes dont les dossiers de candidature ont été validés. Dès lors, la personne est considérée comme enseignant-chercheur avec le rang académique d’assistant et ce, même si toutefois, elle n’est pas engagée à la fonction publique. Et ce sont tous ces dossiers  qui sont envoyés  à la fonction publique pour des fins d’engagement. La plupart de ces collègues, en dehors de l’arrêté d’engagement, certains  ont leur arrêté de reclassement académique. Ils disposent de toutes les pièces justificatives qui prouvent que ce sont des enseignants chercheurs qui ont été engagés dans le respect de la procédure administrative et des lois en vigueur.

Moi-même qui vous parle, j’ai été engagé en 2019 avec cette date de naissance, qui est le 1er janvier 1935, après avoir été pourtant reclassé académiquement en 2017 avec la bonne date de naissance et les bonnes informations. La fonction publique engage sur la base d’un fond de dossier qui est minutieusement vérifié et contrôlé avant dépôt de ce dernier.

Comment avez-vous pu régulariser votre cas ?

Je veux être honnête avec vous. Parallèlement à mon métier d’enseignant chercheur je suis médecin dentiste. J’ai eu à soigner un agent de la fonction publique mais  qui ne travaillait pas au service informatique à qui j’ai exposé mon problème. Il m’a dit qu’il n’allait rien me promettre parce que ne relevant pas du service informatique, mais il m’a demandé de constituer le dossier et qu’il allait voir avec ses collègues au service informatique. C’est ainsi et grâce à cette personne que ma date de naissance a été corrigée à la fonction publique. Parce qu’à l’époque, comme vous le savez, le système était complètement gangrené et corrompu. C’est soit vous avez la chance d’avoir une relation à la fonction publique ou à défaut, vous passez malheureusement par la corruption en payant de l’argent ou sinon vous subissez les conséquences.

Ces erreurs au niveau des dates de naissances et même au niveau de nos statuts sont préjudiciables à notre niveau. Moi par exemple, en tant qu’enseignant-chercheur, dans le cadre de mes recherches, si je dois assister à une conférence ou à un congrès scientifique à Paris, congrès au cours duquel je dois faire une communication, je pars à l’ambassade aujourd’hui avec ce bulletin qui ne correspond pas à mes informations sur le passeport, naturellement ils ne vont pas me donner le visa. Alors qu’à la base, en tant qu’enseignant-chercheur, on a besoin de faire des communications dans les congrès scientifiques et faire des publications dans les revues mondiales pour évoluer en grade académique. La réalité est qu’aujourd’hui nous sommes bloqués à cause de tous ces facteurs.

Avez-vous cherché à savoir pourquoi ces erreurs se sont retrouvées au niveau de vos dates de naissance ?

A un moment donné, nous sommes posés une question : est-ce que cela n’a pas été sciemment fait pour pousser les gens à aller négocier ? Parce qu’on ne peut pas comprendre, qu’on décide d’attribuer des dates de naissance aussi lointaines à un groupe de jeunes pour des faits de contrôle, car c’est l’argument qu’ils nous ont donné. Nous aurions pu comprendre qu’on nous donne des dates de naissances de 1980 ou 90, si c’est pour des fins de contrôle mais des dates aussi lointaines que  1935 qui correspondent à l’âge de nos grands parents,  ça quand-même on ne comprend pas.

Etait-ce le seul argument qu’on vous a brandi ?

Ils nous ont dit que nous n’étions pas la seule promotion et depuis un certain temps que cela se passait comme ça à la fonction publique. On a respecté ce qu’ils nous ont dit. Nous avions réuni tous les documents qu’il fallait. Aujourd’hui, ces 758 personnes ont déposé leurs dossiers à la fonction publique par l’intermédiaire du DRH. Mais jusqu’à présent il y a des personnes qui ne sont pas encore régularisés.

Quel appel avez-vous à l’endroit du Comité national du rassemblement pour le développement et le département de la fonction publique ?

Ce que je voudrais dire aux nouvelles autorités, c’est de nous permettre de rectifier ces erreurs liées à la date de naissance. Je voudrais citer ici la nouvelle ministre de l’enseignement supérieur Dr Diaka et le nouveau secrétaire générale Dr Facinet Conté qui sont d’ailleurs des nôtres, des jeunes enseignants-chercheurs compétents et des cadres chevronnés qui connaissent les réalités du milieu et les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Mais il n’y a pas que ces erreurs. Il y a aussi celles liées au statut. Certains, y compris moi, ont toujours le statut de stagiaire depuis la date  d’engagement en 2019. Et nous, lorsqu’on nous a engagé, c’est avec le rang de titulaire plein, ce sont des choses inacceptables qui concernent la quasi-totalité des 758 engagés à cette date.

D’autres ont le problème de la transposition de la hiérarchie, c’est-à-dire, des Docteurs qui doivent être en hiérarchie A3 se retrouvent en hiérarchie A1 etc. D’autres sont partis en congé de formation, dans leur situation statutaire, mais dans leurs bulletins de salaire, c’est comme si, ils sont sur place. Et dans cette situation, si on effectue une opération de recensement on risque de les considérer comme des absents. Ce que je voudrais demander aux nouvelles autorités, c’est de nous permettre de régler ces erreurs parce que beaucoup en souffrent et certains pourront être envoyés abusivement à la retraite.