M. Mamadou Pathé Dieng, dresse un panorama approfondi de l’avant-projet de Constitution, soulignant son importance pour la modernisation de la Guinée. Il évoque les enjeux liés à la participation citoyenne, aux réformes sociales et économiques, à la cohésion nationale, ainsi qu’à la lutte contre la corruption, tout en insistant sur la nécessité de mécanismes concrets et d’un processus inclusif.
1. Journaliste: M. Dieng, comment percevez-vous les grandes lignes de cet avant-projet de Constitution ?
M. Dieng: Cet avant-projet constitue une étape capitale pour la modernisation de notre pays. Il met en avant des principes essentiels tels que l’État de droit, la consolidation de la démocratie et le rejet des coups d’État. Cependant, une Constitution ne doit pas être simplement un document juridique, mais aussi une idéologie nationale incarnant les aspirations profondes du peuple. Une telle vision exige une implication massive des citoyens, car sans leur adhésion, même les meilleures dispositions risquent de rester lettre morte. Prenons l’exemple du Ghana, où des réformes constitutionnelles ont permis de stabiliser le pays après des périodes troublées grâce à un engagement collectif.
2. Journaliste : Quels aspects sociaux et économiques de ce texte vous semblent les plus prometteurs ?
M. Dieng : Les engagements en matière de droits sociaux, notamment l’éducation gratuite jusqu’à 16 ans et la couverture santé universelle, sont des avancées majeures. Ces mesures rappellent les politiques réussies dans des pays comme le Botswana, qui a investi dans l’éducation pour renforcer son capital humain. Cependant, la Guinée devra aller au-delà des promesses en prévoyant des mécanismes de financement solides et durables. Par exemple, pour garantir l’accès à l’éducation, il ne suffit pas de construire des écoles : il faut également attirer et former des enseignants qualifiés, en particulier dans les zones rurales. J’en parle avec conviction, ayant moi-même cédé plus de 100 salles de classe à l’État, qui accueillent aujourd’hui plus de 5 000 élèves dans des écoles publiques.
Sur le plan économique, la gestion équitable des ressources naturelles est cruciale. Si cette disposition est bien appliquée, elle pourrait transformer notre richesse minière en un levier de développement durable, comme l’a fait la Norvège avec son fonds souverain.
3. Journaliste : Ces promesses sociales et économiques sont souvent difficiles à mettre en œuvre. Quelle est votre analyse ?
M. Dieng : Vous avez raison, les défis sont nombreux. Le Sénégal, par exemple, a introduit une politique d’éducation gratuite, mais sans planification adéquate, ce qui a engendré des classes surchargées et une pénurie d’enseignants formés. Pour éviter ces écueils, la Guinée doit s’inspirer des meilleures pratiques, comme celles du Rwanda, où une gestion rigoureuse des finances publiques et un suivi minutieux des projets sociaux ont permis de tenir leurs promesses.
En ce qui concerne la santé, même des pays économiquement plus avancés comme l’Afrique du Sud peinent à garantir une couverture universelle en raison des inégalités structurelles. La Guinée devra donc adopter une approche inclusive et pragmatique, en priorisant les soins primaires et en impliquant les collectivités locales dans la gestion des infrastructures.
4. Journaliste: Que pensez-vous des mesures prévues pour renforcer la cohésion nationale ?
M. Dieng : La cohésion nationale est essentielle pour la stabilité et le développement. L’avant-projet met en avant des principes louables comme l’unité et l’égalité, mais cela doit se traduire par des actions concrètes. Par exemple, après les violences post-électorales de 2007, le Kenya a instauré des mécanismes de réconciliation nationale et de partage du pouvoir qui ont renforcé la confiance entre les communautés. En Guinée, il est impératif de mettre en place des programmes qui favorisent le dialogue intercommunautaire et garantissent une représentation équitable au sein des institutions.
Je voudrais aussi souligner la nécessité de réglementer les partis politiques et les médias. Bien qu’ils soient essentiels pour une démocratie dynamique, ils peuvent aussi, s’ils ne sont pas encadrés, devenir des outils de division et de manipulation, comme l’a tragiquement illustré l’exemple des radios incitatrices au Rwanda.
5. Journaliste : L’économie et le développement durable sont des priorités dans ce texte. Est-ce suffisant ?
M. Dieng : Le texte aborde des sujets importants, comme l’intégration du contenu local dans les projets de développement et la diversification économique. Cependant, il faut aller plus loin en créant un climat favorable à l’investissement et en soutenant l’entrepreneuriat local. Par exemple, l’Éthiopie a réussi à réduire sa dépendance à l’exportation de matières premières en développant des secteurs comme le textile et l’agro-industrie.
En Guinée, il est urgent de faciliter l’accès au crédit pour les entrepreneurs. Aujourd’hui, les taux bancaires exorbitants sont un frein majeur au développement des entreprises. Si nous voulons que cette Constitution soutienne réellement la croissance, elle doit inclure des mesures incitatives pour les acteurs économiques locaux.
6. Journaliste: Quelle est votre opinion sur le rôle des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) dans ce texte ?
M. Dieng: Les FDS doivent être des protectrices des institutions démocratiques. Le texte actuel est vague à ce sujet. Une clarification s’impose pour garantir leur neutralité et leur professionnalisme, comme c’est le cas au Bénin, où les forces armées jouent un rôle stabilisateur sans interférer dans la politique.
7. Journaliste: Et concernant la lutte contre la corruption et le détournement de fonds, quelles mesures proposez-vous ?
M. Dieng : La corruption et le détournement de fonds sont des fléaux qui minent le développement de notre pays. Je propose des mesures sévères pour lutter contre ces crimes, incluant des peines allant jusqu’à la perpétuité pour les cas les plus graves. Dans les situations extrêmes, et où les dommages causés à la société sont irréparables, la peine de mort pourrait être envisagée. Ces mesures visent à dissuader toute tentative de corruption et à garantir que les ressources de l’État soient utilisées pour le bien commun. Le succès de ces mesures dépendra également de la mise en place d’institutions judiciaires indépendantes et transparentes, capables de mener des enquêtes approfondies et impartiales.
8. Journaliste: Enfin, quelles recommandations feriez-vous pour améliorer cet avant-projet ?
M. Dieng : Je recommanderais d’abord un processus inclusif de consultation populaire. C’est d’ailleurs pourquoi je salue cette campagne de vulgarisation. Chaque citoyen doit se sentir partie prenante, voire artisan ou auteur de cette Constitution. Ensuite, il faut prévoir des mécanismes clairs de financement pour les droits sociaux. Enfin, les institutions doivent être renforcées pour éviter tout chevauchement de compétences. Le Maroc, par exemple, a introduit des réformes institutionnelles qui ont renforcé la gouvernance locale tout en clarifiant les rôles au niveau national.
9. Journaliste : Merci, M. Dieng, pour cette analyse détaillée et constructive.
M. Dieng : Merci à vous. Cet avant-projet est une opportunité unique pour transformer la Guinée. Mais cela ne sera possible qu’avec une mise en œuvre rigoureuse et l’engagement actif de tous les citoyens.