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Non ! L’École Professionnelle n’est pas une « École » ou un « parcours » de « seconde chance » (Tribune)

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Au soir de la publication des résultats du baccalauréat session 2022 en Guinée, le constat est amer, très amer. Dans plusieurs familles à Conakry et à l’intérieur du pays, tristesse et désespoir dominent, vécus tel un deuil suite à la disparition d’un proche.

Sur la toile (facebook, twitter, etc..) chacun y va de son commentaire.  Les déceptions sont partagées, relayées, mais pas que, les « solutions » le sont également.

Parmi les candidats au baccalauréat 2022, nombreux sont ceux qui sont à leur 2ème ou 3ème tentative. « Il faut vite tourner la page, et chercher une solution, parfois à la sauvette, pour la rentrée qui arrive à grand pas », voilà la pensée commune qui se dégage.

 Parmi les solutions exposées sur la toile, la médaille d’or revient à la solution « choisir l’école professionnelle ». Si le choix de l’école professionnelle peut paraître comme la solution idéale, force est de reconnaître qu’elle cache une triste réalité : en Guinée, l’école professionnelle est perçue, par une bonne partie des citoyens comme une école de seconde chance. Le schéma est simple : « j’ai échoué au BAC/BEPC une seconde fois ou parfois même une première fois, je vais tenter l’école professionnelle ».

 Dans ce présent article, nous nous proposons une analyse critique de la solution « choisir l’école professionnelle après un échec ».

Cette analyse critique est construite autour de trois (3) idées principales: l’école professionnelle est une formation diplômante qui nécessite des prérequis au même titre que l’enseignement général (A), le choix systématique de l’école professionnelle après un ou plusieurs échecs, est une « fuite de responsabilités » (B), le choix d’une carrière professionnelle doit s’appuyer sur un projet d’études bien réfléchi et non sur des circonstances(C)

A- L’école professionnelle est une formation diplômante nécessitant des prérequis

Si PLATON disait « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre » nous pourrions soutenir « Que nul n’entre en école professionnelle s’il n’a pas un minimum de niveau ». L’école professionnelle n’est pas un dépotoir, encore moins une école « fourre-tout ».

La formation professionnelle est un cursus qui permet à un élève d’acquérir des compétences nécessaires ; un savoir-faire afin d’exercer un métier. Il s’agit d’un parcours à la croisée de l’apprentissage théorique et pratique. Dans la plupart des pays, l’accès à cette formation obéit à des exigences. En France, par exemple, chaque année une campagne de candidature est organisée. Dans chaque établissement proposant un cursus professionnel, une commission pédagogique est mise en place. Cette commission a pour mission d’étudier les dossiers de candidature et d’octroyer des admissions sur la base de plusieurs critères : le niveau pédagogique du candidat, le projet d’études du candidat, la cohérence entre le projet d’études et le projet professionnel, etc… La campagne de candidature se déroule avant la proclamation des résultats des différents examens et non après. La prise en compte du niveau pédagogique du candidat comme critère d’attribution d’une admission pour un parcours professionnel révèle un aspect fondamental : La formation professionnelle a une valeur, son intégration nécessite des prérequis. A ce stade une étude comparative sommaire des conditions d’accès à l’école professionnelle en Guinée s’impose.

D’une façon générale, l’école professionnelle en Guinée « est une source de richesse » pour les différents fondateurs. Le fort taux d’échec au fil des années aux différents examens a généré une prolifération d’écoles professionnelles en Guinée. Dans ces écoles professionnelles les conditions d’accès se résument au paiement de la scolarité, et parfois quelques pots de vins pour avoir une place. Le niveau du candidat est loin d’être l’un des critères de choix déterminants. La principale conséquence de ce type de pratiques est que l’accès à l’école professionnelle en Guinée apparaît comme une affaire d’argent, de facilité, de réseau et non de niveau. Par ailleurs, Cette facilité d’accès s’explique par plusieurs facteurs notamment la défaillance de l’État dans la mise en place de politiques publiques efficaces dans le domaine de la formation professionnelle. Il faut tout de même reconnaître que durant ces dernières décennies, l’État guinéen réalise des efforts considérables pour la valorisation de la formation professionnelle (modernisation des écoles, recrutement de formateurs qualifiés, développement de partenariat, etc…).

Il est également important de souligner que la fin de tout parcours professionnel est sanctionné par un diplôme. Ce diplôme s’obtient à la suite de la validation d’une série d’examens. A l’image de l’enseignement général, la réussite aux examens professionnels nécessite la mobilisation de connaissances théoriques et pratiques.  Le schéma est donc le même. Autrement dit « un élève qui n’est pas capable de mobiliser ses connaissances théoriques lors d’un examen d’enseignement général n’en sera qu’incapable pour un examen d’enseignement professionnel ». Face à une telle assertion, beaucoup de citoyens pourraient dire « oui mais il plus facile de valider un examen en école professionnelle qu’en enseignement général ». A mon avis, cette affirmation ne se vérifie seulement que dans le contexte guinéen. Cette perception d’école facile est la résultante d’une défaillance de système et non de la nature même de l’école professionnelle ». Il faut encore une fois rappeler que l’État guinéen ne ménage aucun effort pour panser cette « défaillance du système éducatif guinéen »

 B- le choix systématique de l’école professionnelle à la suite d’un échec, révèle dans une certaine mesure « une fuite de responsabilité »

 Depuis la publication des résultats du baccalauréat, les citoyens se prêtent à un exercice d’autopsie, de diagnostic du système. Les Guinéens de partout cherchent à comprendre « qu’est ce qui n’a pas marché, le pourquoi du comment ». Le constat général qui se dégage est le suivant : la responsabilité est partagée entre l’État, le corps professoral, la société dans son ensemble, l’entourage proche (famille), et bien entendu les candidats malheureux. Dans le cadre de cette analyse nous évoquerons uniquement la situation du candidat malheureux.

Pour réussir un examen quelle que soit sa nature il faut : mobiliser des connaissances, se préparer, apprendre, réviser, fournir donc des efforts. Tout naturellement, on peut affirmer que la réussite est le fruit d’un travail acharné. A la question de savoir ce qui explique votre succès, la réponse des différents lauréats aux examens est souvent la même « j’ai travaillé dur, j’apprenais, je révisais quotidiennement mes cours ». En suivant cette logique, on arrive à la conclusion que celui qui échoue n’a pas travaillé, n’a pas fait d’efforts. La part de responsabilité des candidats malheureux réside ainsi dans le fait que ces derniers n’ont pas fourni les efforts nécessaires (ce n’est bien sûr pas la seule explication). L’absence d’efforts engendre l’accumulation de lacunes. Face à un échec on dit souvent qu’il faut assumer ses responsabilités. Pour un candidat malheureux, assumer ses responsabilités signifie tout simplement : prendre conscience, travailler, fournir des efforts pour certains, redoubler les efforts pour d’autres. Il faut cependant préciser que pour ce faire, l’implication de tous (État, société, entourage proche) est indispensable. Le premier constat qu’on peut faire quelques heures après la publication des résultats, est que plusieurs candidats malheureux adhèrent grandement à l’idée de l’orientation vers le choix de la formation professionnelle. Cette forte adhésion traduit une forme de fuite de responsabilité. En effet, le choix de l ‘orientation vers l’école professionnelle en Guinée apparaît pour eux comme l’accès à « un parcours facile, dans lequel, le niveau, le travail et les efforts importent peu ». Ce raisonnement exposé est discutable.

En effet l’orientation vers l’école professionnelle en Guinée n’est pas uniquement motivée par le choix de la facilité mais elle est fortement proposée par une grande partie de l’opinion publique des candidats « malheureux » ainsi que leur proche entourage. Au regard de ceci, il est tout naturel d’admettre que l’orientation systématique vers une l’école professionnelle à la suite d’un échec est une forme de « fuite de responsabilité ».

C-Tout parcours professionnel doit être la résultante d’un projet d’études bien réfléchi, et non d’un ensemble de circonstances (avis personnel)

A mon avis, tout citoyen exerçant une profession de mécanique par exemple doit pouvoir dire « j’ai choisi d’être mécanicien parce que c’est un métier que j’ai toujours voulu exercer. Je n’ai pas choisi d’être mécanicien après 5 échecs au brevet ». De même un chauffeur doit dire « j’exerce ce métier par choix, et non à la suite de plusieurs échecs au baccalauréat ». Cette logique n’est pas forcément partagée par plusieurs citoyens guinéens qui pensent l’inverse « suite à plusieurs échecs, on essaie de trouver autre chose ». Je dois préciser que je ne suis nullement opposé à la réorientation qu’elle soit scolaire ou professionnelle. Je défends l’idée selon laquelle, les circonstances (échecs)ne doivent pas être la principale motivation d’une réorientation.

On pourra légitimement me reprocher de ne pas prendre en compte la « réalité du citoyen guinéen » ce que j’entendrais bien évidemment. S’il est peut-être vrai qu’un enfant issu d’une famille aisée a plus de chance de réussir à l’école qu’un enfant d’une famille pauvre, je suis persuadé que la réussite n’a ni de race, ni d’ethnie, encore moins de sexe.

En conclusion, s’orienter vers l’école professionnelle ne doit pas être motivé par des considérations de facilité, de fainéantise. Le choix systématique de l’école professionnelle après plusieurs échecs engendre une triste conséquence :  déplacer le problème de niveau pédagogie des élèves vers un enseignement qui « paraît facile » au lieu de chercher à résoudre ce problème au sein de l’enseignement général. Penser l’école professionnelle comme une école de seconde chance est une forme de dévalorisation de cette formation. En tant que citoyen, mon choix d’intégrer une école professionnelle doit être motivé par mon projet d’études et professionnel et non l’accumulation de mes échecs.

 Précisions : le but de l’article n’est pas de faire porter la responsabilité entière de l’échec aux candidats « malheureux ». Il s’agit d’un partage de position sur le choix de l’orientation vers l’école professionnelle.

TIB

Juriste