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Ecole guinéenne : pourquoi autant d’échecs? Quel rôle pour l’État? Le Ministre Baïlo Teliwel DIALLO analyse et propose

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Depuis plusieurs années, le système éducatif connaît une chute vertigineuse du niveau d’enseignement. Le grand taux d’échec, de déscolarisation et d’abandon scolaire en sont des illustrations parfaites. Cette réalité s’est aggravée par les incessantes crises sociales et politiques qui ont marqué les deux mandats de la gouvernance du Président Alpha Condé.

Faisant ce constat déplorable et alarmant à la fois, notre rédaction a rencontré un spécialiste du domaine, ancien ministre de la République et enseignant de renom, le doyen Bailo Teliwell Diallo. Nous lui avons posé une série de questions, pour répondre auxquelles il s’est immédiatement rendu disponible.

Quelles solutions proposeriez-vous pour la continuité pédagogique en Guinée? Les dispositions prises sont-elles adaptées, suffisantes? Que devait faire l’Etat? Quel est votre avis sur le secteur éducatif à date? Comment appréciez vous l’élévation inquiétante du taux d’échec scolaire et particulièrement aux examens? Quelles pistes de solutions?

C’est une préoccupation forte, et même angoissante pour tout le monde. Pour les élèves et leurs parents, dont c’est l’avenir immédiat et à terme qui est en jeu. Pour les enseignants et les directeurs d’école, qui, pour la majorité, ont fait de leur métier un sacerdoce et une raison d’agir. Pour les communautés de base, pour lesquelles l’école représente un lieu de production et de mobilisation de savoirs et de savoir-faire à valoriser pour les développement. Et en première ligne, le système éducatif, qui a la responsabilité, devant toute la nation, des résultats, des performances et des impacts de la politique éducative.

Les réponses à ces questions doivent donc mobiliser tous ces acteurs, chacun en fonction d’abord de son niveau de responsabilité, sans tentative ni tentation d’imputer seulement à un seul ou à quelques uns les faiblesses des réponses collectives. Leur complexité ne permet pas de les exposer ici totalement et en profondeur. Seulement quelques pistes, qu’il faudra affiner et développer.

  • COVID-19 n’est pas une cause majeure de la crise du système éducatif, il n’en est qu’un révélateur et un amplificateur d’effets. Rappelez-vous qu’il y a deux ans, le Président de la République avait pris l’initiative de mettre en place une Commision Nationale pour la Réforme de l’Education (constituée par les représentants de tous les acteurs identifiés plus haut), sur la base de son constat : “L’Ecole guinéenne est malade”.
  • Cette “maladie” n’est pas récente. Je vous invite à retrouver et à lire les documents de la 1ère Conférence Nationale de l’Education, en 1985 je crois, et vous y retrouverez à peu de choses près, le même diagnostic et les mêmes recommandations, reformulées ensuite, tout au long de notre histoire récente, de façon récurrente dans de milliers de pages de plusieurs dizaines de rapports, produits par des experts nationaux et des institutions internationales partenaires. La récurrence des recommandations devrait interpeller la pertinence et la qualité des réponses.
  • Une plus grande incrustation de l’école dans son milieu me semble être l’une des pistes de solutions la plus féconde et la plus efficace par rapport à de nombreux critères de performance du système éducatif. Elle avait été recommandée par la Commission Présidentielle, mais sous une forme trop générale qui a empêché son opérationnalisation en actions concrètes ; elle est également implicite dans la vision de la 1ère République d’une “école de la vie, dans la vie et pour la vie”, mais là également les implications pèdagogiques et socio-éducatives n’avaient pas été suffisamment étudiées et explicitées.
  • Or, à mon point de vue, c’est sur la base d’un tel paradigme qu’il faut aborder et résoudre les problématiques liées aux contenus et à la professionnalisation des programmes, aux langues d’enseignement, à la mobilisation des ressources humaines et matérielles locales, au suivi-evaluation participatif de proximité, aux emplois du temps etc.
  • A ce titre, il me semble nécessaire d’envisager de créer et renforcer de véritables académies régionales qui auraient une responsabilité effective de la mise en œuvre sur le terrain des directives nationales que l’on limiterait aux orientations les plus générales et la mobilisation des ressources financières et technologiques de haut niveau, ainsi que l’expertise internationale. De telles académies auraient autorité et compétence pour la carte des différents types d’établissements scolaires, l’identification et les contenus de certains programmes, le recrutement et la qualification des enseignants, le calendrier scolaire, les Inspections etc.
  • La seconde piste à développer concerne les TIC appliquées à l’enseignement. Là également des initiatives ont été amorcées, notamment la mise en place de l’Initiative Présidentielle pour la Connectivité des Écoles (IPCE). Il existe un Institut Supérieur de Formation à Distance (ISFAD) ayant en son sein un Espace Numérique Universitaire et Scolaire (ENUS), avec une antenne dans chacune des régions, relativement bien èquipées et, surtout, disposant d’une expertise avérée sur la formation à distance et les technopédagogies. Cette expertise existe également au niveau de l’INRAP. Malheureusement, ces institutions et les experts travaillent de façon dispersée, sans coordination ni capitalisation des expériences. Si l’on veut accentuer et qualifier le rattrapage scolaire, ce sont ces outils et cette expertise qu’il faut mobiliser autour d’un programme spécifique.
  • L’enseignement à distance n’est pas, fondamentalement, une question de ressources technologiques ; et, à mon point de vue, le télé-enseignement tel qu’on l’applique actuellement ne me semble pas pédagogiquement efficace. Aujourd’hui, il est possible d’envisager de mettre les cours sur des supports matériels (clés USB, DVD…) pour que les élèves puissent ensuite les télécharger et les lire sur des supports et dans des espaces appropriés. Il ne faut pas non plus oublier que sur YouTube par exemple, mais sur de nombreuses autres plateformes, il est possible de trouver tous les cours, surtout de sciences et de langues, et qu’on a pas vraiment besoin de reprendre textuellement. Ces cours peuvent être téléchargés et lus même sur des smartphones ces dispositifs ne devront pas être considérés comme des palliatifs, comme des réponses conjoncturelles à une crise conjoncturelle. Au contraire, suivi et évalués par les enseignants-chercheurs, notamment de l’ISSEG et de l’INRAP, ils doivent être considérés comme des outils pérennes pour l’enseignement et la formation continue, à renforcer et à améliorer chaque année.
  • À cette condition, il sera alors possible de résoudre en très grande partie les questions de la scolarisation qui ne laisserait plus aucun jeune à la marge du fait d’échecs accidentels ou dûs à des ciblages ou des orientations mal dëfinis. L’échec scolaire d’un enfant n’est pratiquement jamais de son fait, mais celui du système et de son encadrement.
  • Le vrai problème de l’enseignement à distance est donc plutôt d’ordre pédagogique. Je ne crois pas au tout virtuel, numérique et distanciel – nos experts peuvent le confirmer. Une part de présentiel (contact entre l’enseignant et les éleves), estimé à environ 25% du temps, est nécessaire. Ce temps devrait être plutôt consacré à des exercices d’application des lecons, à des évaluations formatives et à la méthodologie plusqu’aux contenus) : construction de phrases, rédaction, dissertations, commentaires etc. À cet effet, il est pédagogiquement plus efficace d’envisager la constitution de groupes de travail, avec deux, trois, au maximum quatre élèves, qui vont travailler et réviser ensemble, en suivant les programmes de l’enseignement numérique avant de consolider avec les heures de présentiel.
  •  Les enseignants ne sont pas nécessairement formés pour une telle pédagogie. Dans l’immédiat, c’est un handicap qui peut être surmonté par des stages de perfectionnement pour tous ceux qui, aujourd’hui en situation de classe, ont la formation professionnelle de base. Il serait alors utile de mettre en place, partout où les conditions de sécurité sanitaires minimales sont réunies, des équipes intinérantes de deux ou trois enseignants pour couvrir les besoins d’heures de présentiel pour un ensemble d’écoles donné. A terme, les TICE et les pédagogies numériques doivent faire partie du cursus de formation des enseignants et encadreurs du système éducatif, grâce à des formations en cascades allant de L’ENUS et l’ISSEG pour atteindre l’INRAP et les ÉNI.
  • Ce ne sont là que des pistes, qui recoupent des propositions formulées également par d‘autres enseignants et encadreurs, nationaux et étrangers. Pour ma part, je me propose, dès la fin du ramadan, d’expérimenter ces idées sur le terrain, dans le cadre de Saala Développement Project, en continuité de ce qui a déjà été amorcé en avril et en novembre 2019, avec une quarantaine d’enseignants de Labé et de Lélouma. Préalablement, un “think-thank” sera mis en place pour approfondir les idées. 

M. Baïlo Teliwell DIALLO
Ancien Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique

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