Quand le Passé Reprend Surface : Les Résurgences D’un Vieux Logiciel

    51
    0
    SHARE

    « Il est plus facile de refaire le monde au café que de balayer devant sa porte. »

    (Adage guinéen – Moyenne-Guinée)

    Ils reviennent. Masqués, mais reconnaissables. Ceux que l’on croyait balayés par le vent du renouveau, ensevelis sous le poids de l’histoire, font de nouveau irruption dans la cité. Non pas pour construire, mais pour parasiter. Non pas pour éclairer, mais pour assombrir. Reprennent surface, en effet, les méthodes que l’on espérait éloignées de l’univers guinéen : l’invective comme argument, la calomnie comme stratégie, la meute comme mode opératoire.

    Les vautours numériques ont remplacé les penseurs civiques.

    À force de donner la parole à ceux qui n’ont pas encore appris à penser, nous avons bâti une agora où le vacarme tient lieu de vision, et où le doigt accusateur se substitue à l’analyse rigoureuse. C’est là une tragédie : quand les crieurs de place publique s’imaginent sentinelles de la République.

    « Lorsque le tam-tam fait trop de bruit, c’est souvent qu’il cache un vide. »

    (Adage guinéen – Haute-Guinée)

    Ceux qui, hier encore, accablaient de leur silence les heures graves de notre pays, s’éveillent subitement pour distribuer les brevets de fidélité, d’orthodoxie, de loyauté. Le plus ironique ? C’est souvent ceux qui n’ont jamais rien bâti qui crient le plus fort à la trahison. Il y a chez eux l’assurance tranquille de ceux qui ignorent tout du labeur. Ils attaquent ce qu’ils ne comprennent pas, et méprisent ce qu’ils ne peuvent imiter.

    Mais que leur reproche-t-on, au fond ? D’agir sans s’agiter ? D’avancer sans gesticuler ? D’avoir compris que le service de l’État n’est pas un théâtre où l’on gesticule pour exister, mais une charge où l’on produit dans le silence ? Il y a dans leur démarche une élégance qui dérange, parce qu’elle révèle la vacuité de ceux qui n’ont que le tumulte à offrir.

    « L’arbre qui porte des fruits finit toujours par recevoir des pierres. »

    (Adage guinéen – Basse-Guinée)

    Ils ne pardonnent pas à ceux qui incarnent le sérieux. À ceux qui prennent le temps de réfléchir avant de parler, et qui refusent de faire de la politique un concours d’agitation. Ils ne pardonnent pas l’intelligence tranquille, la loyauté discrète, la compétence sans bruits. Eux préfèrent l’ombre à la lumière, tant que cette lumière ne les éclaire pas.

    L’univers guinéen mérite mieux que la nostalgie de pratiques que l’on croyait révolues.

    Ce pays a payé un lourd tribut à la rumeur élevée en méthode de gouvernance, à la haine entretenue comme système de mobilisation, à l’inertie maquillée en sagesse. Faut-il, encore et toujours, retomber dans les mêmes cercles vicieux ? Faut-il que chaque homme debout soit systématiquement visé jusqu’à tomber à genoux ? La grandeur d’un peuple se mesure à sa capacité à faire place à ceux qui bâtissent, non à ceux qui bavardent.

    « La grenouille ne devient jamais crocodile, même au fond de l’eau. »

    (Adage guinéen – Guinée Forestière)

    Les déguisements finiront par tomber. Le peuple, malgré les artifices, reconnaît l’odeur du sérieux et la texture du mensonge. Il sait faire la différence entre ceux qui écrivent l’histoire et ceux qui se contentent de la commenter, entre ceux qui travaillent et ceux qui applaudissent entre deux injures numériques.

    Ne jamais s’habituer à la médiocrité

    Que nul ne se méprenne : ce n’est pas un texte de colère. C’est un appel à la lucidité, un sursaut d’espérance. L’histoire n’a pas vocation à se répéter indéfiniment comme une mauvaise chanson. Il nous revient à tous, intellectuels, citoyens, bâtisseurs, de refuser les retours en arrière déguisés en sagesse, et de dénoncer sans peur l’émergence d’un folklore politique qui fait honte à l’intelligence collective.

    Car si nous laissons les bouffons décider du ton, c’est bientôt la cour tout entière qui dansera au rythme de leur vacarme.

    Par Christian Desco CONDE

    Politologue, Enseignant-Chercheurs