Étudiant en « Formalités Douanières » dans une université tunisienne, Ismaila Diallo vit un quotidien difficile dans ce pays du Maghreb, depuis le discours prononcé par le président Kais Saied, contre les migrants Subsahariens. Dans cet entretien accordé à Africaguinee.com, ce jeune guinéen décrit ce qui a accentué la « haine » de certains tunisiens contre les noirs. Il lance un appel aux jeunes candidats à l’immigration irrégulière. Interview exclusive.
AFRICAGUINEE.COM : Depuis le discours du président Kais Saied les noirs vivants en Tunisie sont victimes de xénophobie. Comment vivez-vous cette situation ?
ISMAILA DIALLO : Pour moi, la Tunisie était le pays du Maghreb, le plus hospitalier. Nous sommes déçus et angoissés par rapport à tout ce qui passe actuellement. Nous sommes menacés par les propos du premier magistrat du pays. Depuis cette sortie du président, la peau noire est menacée ici. Certains tunisiens qui avaient déjà une haine contre les noirs ont profité pour s’attaquer à tout le monde. Maintenant, que vous soyez en règle ou pas, tout le monde est mis dans le même sac. Notre peau devient notre carte d’identité. Dès qu’on t’aperçoit, l’idée qui vient : en voici un alors qu’on parle officiellement des subsahariens sans documents de voyage sur place. Voilà ce que nous vivons ici. Heureusement, l’Etat guinéen s’est levé pour venir aux secours des guinéens. A l’heure où je vous parle, il y a des malades, des femmes et des enfants et beaucoup de jeunes. La liste est ouverte à tous les volontaires au retour.
Selon vous qu’est-ce qui explique l’afflux des migrants ces derniers mois en Tunisie ?
Les raisons de ces mouvements migratoires vers la Tunisie sont diverses. Premièrement, il y a des gens qui viennent pour des raisons médicales pour un court séjour de 1 à 3 mois. Car le pays est réputé d’avoir des soins de qualité. Deuxièmement, il y en a d’autres qui viennent pour des raisons d’études, je suis de cette catégorie. Il y a également des pays amis qui envoient des boursiers. Mais vue la position géographique de la Tunisie avec sa proximité de l’Europe plus précisément l’Italie, nous constatons ces derniers temps un flux migratoire énorme. Ils viennent de partout pour tenter le voyage via la mer.
Qu’est-ce qui dérange véritablement la société tunisienne ?
Ce qui dérange la société tunisienne en termes d’inversion des mœurs, c’est l’installation des migrants sur leur territoire après l’échec de la traversée vers l’Italie. C’est une véritable source de tensions entre les citoyens tunisiens et les Subsahariens qui s’installent illégalement ici. Certains fondent des familles. Leurs enfants nés ici en Tunisie partent dans les mêmes écoles que les enfants des Tunisiens de souches. La cohabitation est souvent difficile. Et comme on le dit souvent, partout il y a des hommes de bonnes foi tout comme il y en a de mauvais.
Avec cette épreuve difficile pour les noirs, ici en Tunisie je reçois tous les jours des messages et appels des amis et connaissances tunisiens qui demandent mes nouvelles et me présentent des excuses. Certains nous adressent des messages d’encouragement pour rester et continuer les études. Nous avons vu la sortie de la société civile avec une marée humaine qui soutient les causes des subsahariens. Ils protestent contre la sortie du président que nous qualifions tous de xénophobe et raciale.
Nous avons vu des vidéos sur les réseaux où des guinéens et des tunisiens s’affrontent avec des jets de pierres. Dans quel contexte cela est arrivé ?
Effectivement, il y a eu des affrontements entre des jeunes surexcités tunisiens et guinéens dans la capitale politique qui est Sfax, zone de départ vers l’Italie. Cette ville est réputée hostile aux noirs. A chaque fois, des attaques et des agressions sont perpétrées contre des noirs en pleine journée. Dieu merci, pour la nuit du 24 /02/23 nous n’avons pas enregistré des cas de morts mais il y a eu des blessés des deux côtés. J’appelle tous les compatriotes guinéens résidents en Tunisie à la retenue et au respect des lois du pays et surtout ne pas provoquer. Il faut rester dans les maisons jusqu’à ce que les choses s’améliorent.
Nous apprenons également qu’il y a régulièrement des violences entre groupes de migrants rivaux. Est-ce vrai ?
C’est une réalité mon frère. À Sfax par exemple, des groupes de noirs sèment le bordel même entre nous Subsahariens. Ils ont des débits de boissons alcoolisées, les domiciles de certains sont transformés en chambre de passage contre de l’argent. D’autres font la publicité pour la traversée vers l’Italie. C’est dans ça que les groupes rivaux composés d’ivoiriens, de guinéens et des Camerounais, s’entredéchirent. Récemment, une femme ivoirienne a été tuée dans son bistrot par ses frères qui voulaient effectuer leur voyage sur l’Italie. Ils disent avoir versé l’argent chez cette femme. Ces problèmes ne finissent pas. Il y a des guinéens qui arnaquent des guinéens (…). Des bagarres peuvent éclater partout entre noirs. Ce sont des comportements malheureux qu’on ne décrit pas souvent, mais parfois c’est plus tendu entre subsahariens.
Quel est votre dernier message ?
J’appelle les guinéens qui souhaitent se rendre en Tunisie, quel que soit le motif, de patienter d’abord jusqu’à ce que la situation s’améliore. Aux jeunes surtout, je les déconseille de prendre le désert pour entrer illégalement dans le territoire tunisien. Nos autorités ont fait beaucoup, mais on les invite à plus d’aide parce que beaucoup de guinéens sont détenus dans les prisons tunisiennes. Pour le plus grand nombre d’entre eux, on leur reproche d’être entrés illégalement en Tunisie.
Africaguinee